Question que vous pourriez liker (ou pas) : existe-t-il, parmi les 654 références étoilées en France en 2025, une table (et/ou un chef) qui ne soit pas sur les réseaux sociaux, et notamment sur Instagram ? Après quelques heures de recherche, la réponse est limpide : c’est non. Il paraît loin le temps (une décennie environ) où le chef deux étoiles Alexandre Gauthier laissait apparaître un appareil photo barré sur sa carte ou quand le triple étoilé Yannick Alléno – 438 000 followers aujourd’hui – ne jugeait pas utile de communiquer sur Instagram… Les chefs ont su évoluer avec leur temps, et c’est tout à leur honneur.
L’omniprésence de l’image
L’an dernier, l’enquête publiée par L’Observatoire Lifestyle Trends American Express a formalisé ce qu’on savait déjà très bien : les réseaux sociaux jouent un rôle prépondérant dans le succès d’un établissement. Ainsi, 43 % des Français – 64 % des moins de 35 ans – indiquent que voir une photo de plat sur les réseaux sociaux leur donne envie d’aller dans un restaurant en particulier. “Aucun restaurant ne peut aujourd’hui être invisible sur les réseaux sociaux” confirmait récemment Louiza Hacène dans nos colonnes, fondatrice de la société Malou qui aide les restaurants sur tous les sujets de visibilité en ligne.
Pourtant, il existe encore de nombreux lieux en France où les mots “story” et “trend” sont bien éloignés des préoccupations des restaurateurs.
Un contre-exemple singulier
Direction Rothau, dans le Bas-Rhin, où le restaurant Les Petits Plats de Mamama fait figure d’exception : ici, les téléphones portables sont interdits à table. Une règle qui peut surprendre mais qui, pour ses responsables, Olivier et Sandra Holtzmann, relève avant tout d’une philosophie : remettre au centre l’échange, la convivialité et le plaisir de partager un repas. “Servir des personnes lobotomisées sur un écran n’a aucun intérêt”, estiment-ils.
Après presque quarante ans dans le métier, Olivier dresse un constat amer : “Je me rends compte que la sortie au restaurant qui, jadis, était un moment de fête où les gens prenaient le temps de se préparer, est devenue simplement une façon de se nourrir. Nous refusons d’être une cantine pour addicts au portable. Servir des personnes lobotomisées sur un écran n’a aucun intérêt pour nous.” Ce qui fait également la singularité de cette winstub, c’est son concept affirmé. L’établissement accueille ainsi une brocante solidaire, une boutique où une trentaine d’artistes et producteurs locaux exposent gratuitement leurs créations, ainsi qu’un atelier de réparation de vélos.
Cette démarche singulière séduit : le restaurant – qui s’appuie simplement sur une page Facebook “pour communiquer sur nos actualités” – affiche complet quotidiennement et doit refuser en moyenne 50 couverts par service. Sa réputation dépasse même aujourd’hui les frontières du département. Une réussite qui, pour ses responsables, prouve que l’authenticité et la convivialité restent des valeurs recherchées. “Aujourd’hui, sans portable, la conversation reprend sa place”, affirme Sandra.
Miser sur le collectif et le bouche à oreille
Pour les chefs, une autre réalité explique ce manque d’appétence pour le digital : le temps. Bastien Giraud est le directeur de Bistrot de pays, un réseau qui fédère aujourd’hui 123 établissements. Ces bistrots ruraux constituent bien plus que des lieux de restauration : ils sont des espaces de rencontre, de lien social et d’animation locale.
Si l’usage de Facebook et d’Instagram existe dans le réseau, il reste marginal et très éloigné des pratiques des grandes zones urbaines. “Beaucoup s’en servent comme d’un blog, avec une communication basique et sans publicité. Leur objectif n’est pas de chasser de nouveaux clients avec de jolis visuels ou une stratégie d’acquisition, mais de fidéliser leur clientèle locale”, explique Bastien Giraud. Cette sobriété s’explique par le contexte : “Les bistrots de village sont souvent gérés comme des affaires familiales. Le temps et les moyens financiers pour développer une présence en ligne sont limités.”
Plutôt que de lutter face à des algorithmes qui réduisent la visibilité sans investissement publicitaire, la Fédération nationale joue la carte du collectif. “Notre guide national papier, nos newsletters, l’appui des offices de tourisme et l’organisation d’événements locaux sont encore des leviers puissants pour attirer des visiteurs”, souligne le directeur.
Selon lui, le bouche à oreille reste la clé. “En moyenne, 15 % de nos clients sont de nouveaux visiteurs. C’est déclaratif, mais cela montre que la réputation et la convivialité font encore leurs preuves.” De son côté, la société Malou promet sur son site une hausse de “18% de clients en moyenne par mois” grâce à ses services. Et s’il y avait encore match ?
Publié par Stéphane POCIDALO
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